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10 mars 2012

Il était une fois

Après 4 mois à travailler principalement pour les 3 mêmes chaînes, je commence à bien connaître leur public cible et le type de programmes qu’elles diffusent.
Ca, c’est la théorie.
Parce que, dans la pratique, quand on me propose un documentaire de 90 mn pour une de ces chaînes, juste après avoir livré un soap et une telenovela de plus, je me réjouis d’avance de pouvoir savourer un peu de culture, voire d’intelligence.

Sauf que bon.

C’est le genre de chaîne qui par documentaire entend « un reportage inintéressant et d’une trivialité sans fin sur un sujet qui va bien faire pleurer dans les chaumières, le tout présenté par la tête-à-claques de service. »

Le sujet du jour, « Amours interdites. »
*Soupir.*
Admettons. Après tout, je suis payée pour ça.

Le documentaire - que nous appellerons ainsi pour des besoins purement pratiques - en question se proposait de suivre 4 couples vivant un « amour interdit », de leur poser des questions absolument indiscrètes, niaises voire purement pathétiques pour, à tour de rôle, mettre du baume au cœur ou faire pleurer le téléspectateur moyen.

Parce qu’on peut toujours compter sur sa coloc quand on a besoin de passer ses nerfs, les faits énoncés seront illustrés par mes impressions en direct-live martelées sur MSN au rythme de mon dégoût, mon énervement, voire ma fureur. (Mes émotions MSNesques s’expriment en caps lock. Donc quand il y a beaucoup de majuscules, c’est que ça ne va plus du tout.)

Le 1er couple m’a plutôt ennuyée et légèrement agacée, mais plus pour des raisons linguistiques qu’autre chose.

Arielle dit
« L'avenir peut-il se conjuguer à 2 pour eux ? »
Si on considère que l'avenir n'est pas un verbe, sans doute pas.
[…]
« Qu'est-ce qu'il y a de plus fort que des sentiments ? »
Je sais pas, mon poing dans ta gueule ?

Je suis une grande romantique.

Le 2e couple était composé à 50 % d’un monsieur de 70 ans pêcheur du dimanche et portant chapeau absolument adorable. Il répondait avec humour et malice aux questions débiles du présentateur tête-à-claques, n’hésitant pas à lui renvoyer à la figure les plus insensées de ses questions. Ce monsieur, il pleurait d’émotion en se rappelant le moment où il était tombé amoureux de sa compagne.

Arielle dit
Non mais je l'aimerais de loin, j'ai John, il a sa Michèle, notre amour n'est pas destiné à être.
Il est juste trop adorable.
[…]
« La clandestinité est un des ingrédients du romantisme » dit ce connard à un homme qui vient de perdre la vocation de sa vie après avoir passé 10 ans à planquer une relation amoureuse en théorie interdite.

Le 3e couple… Le 3e couple a libéré violemment et de façon totalement imprévisible les foudres dantesques de la féministe, de l’humaine, juste de la fille globalement intelligente et relativement cultivée qui est en moi.

J’essaie vraiment de lutter contre ma tendance au jugement trop hâtif. J’ai donné sa chance à la jeune femme blonde au fard à paupières vert pomme. Vraiment.
Mais quand une personne est un cliché ambulant, peut-on encore parler de préjugé ?

Accrochez-vous, ça vaut bien Amour, gloire et beauté.

E. et D. sont… On va dire qu’ils sont amoureux.  E. et D. sont en couple depuis un certain temps (c’est un peu difficile à déterminer, mais plus de 3 ans au moment du tournage, en tout cas). Au début de leur relation, D. vit toujours chez ses parents alors qu’il  a une fille (oh, et à peu près 29 ans). Il est musulman pratiquant, E. ne l’est pas et a déjà 3 enfants. D. prévient E. que ce sera difficile avec sa famille. C’est un euphémisme, mon pote.
Au bout d’un moment, E. et D. décident d’emménager ensemble. D. continue à passer la majeure partie de son temps chez ses parents, qui lui font bien sentir (euphémisme, le retour) qu’ils n’apprécient pas E. Genre pas du tout.
E. et D. partent en vacances avec leurs enfants, et là, c’est le drame.
Les parents de D. appellent tous les jours leur fils pour lui parler de femmes qu’ils voudraient lui présenter. A partir de ce point de l’histoire, les versions divergent (« et dix verges… » Pierre, tais-toi, on ne t’a rien demandé.)
D. semble légèrement (mais vraiment très légèrement) agacé et explique sans grande conviction que non, vraiment, ce n’est pas la peine, il a déjà trouvé.
E. raconte qu’elle en a parlé à son cher et tendre et que sa réaction a été « C’est ma mère, si elle veut m’appeler, elle m’appelle. » Au vu de la suite des évènements, je suis prête à croire E. sur se coup-là.

Arielle dit
OK
OK
TOUT VA BIEN.
DONC
Le mec a 32 ans, il signe avec sa famille un pacte pour aller se faire arranger un mariage en Algérie avec une fille qu'il ne connaît pas.
Et je veux dire, à aucun moment, ça fait "alerte, danger" dans sa tête

Merci, moi du passé, pour le résumé de la situation.
D. plie bagages sans rien dire à E. et en emportant toutes ses affaires, prétextant le mariage d’un cousin.
Et il se marie.
Après quoi, il revient en France avec sa nouvelle femme…

Arielle dit
Parce que sans elle, tu comprends, il aurait peut être été retrouver E.
[…]
Donc là c'est le moment où on est censés avoir pitié, CONNARD ?
[…]
L'autre il raconte sa douleur avec des larmes dans les yeux et tout
Mais va te faire foutre !
Et il essaie de revenir ????
[...]
Ben oui, sa douleur, sa mémoire qui lui disait, mais non, c'est pas elle que tu aimes, c'est E.
Pauvre petit

Là, c’est le moment où j’ai vraiment commencé à très mal le vivre. Et accrochez-vous encore plus, les enfants, parce qu’après, ça ne fait qu’empirer.

D. se pointe un jour en bas de chez E. (sans lui dire qu’il est marié) et elle accepte de le reprendre, sans trop lui demander d’explication.

Arielle dit
(Elle a quand même un peu honte de le reprendre sans explication. Des siècles de féministes poussent un soupir de soulagement)
Du coup elle le dit à personne, tu comprends.

Là, je suis partie faire une pause pour ne pas risquer d’endommager le matériel de mon entreprise ou me faire du mal à moi-même.
Un soir, lors de l’anniversaire de la fille de E., sa sœur lui apprend enfin que oui, il est marié (Comment elle l’a su, nul ne le sait, mais bon, si encore ça restait le plus improbable du reportage...).

Arielle dit
"Pourquoi vous lui avez menti ?" "Je n'aime pas le terme mentir."
"Je lui ai caché des choses pour éviter de la blesser."
J'envisage d'aller me balader à pied sur le périph pour en finir

D. explique calmement au présentateur tête-à-claques que oui, c’est vrai, il a caché des choses à E. (après, je veux dire, il est juste marié, no big deal…). Mais comprenez, mes amis, s’il lui a menti c’est parce qu’elle est trop sensible. C’était pour la protéger. Le pouvoir des caps lock a fait un come-back remarqué à ce moment-là.

Arielle dit
"Je suis avec elle, c'est à moi de la protéger."
NON
NON
JUSTE NON
Tu caches à ta copine que tu es marié, tu es UN CONNARD FINI DE A A Z, C'EST TOUT

Il est des situations où on pense avoir touché le fond, que ça ne pourra pas empirer.
Et quand on se rend compte que, si, c’est encore possible, la seule réaction appropriée semble être le fou-rire nerveux frôlant l’hystérie (n°1 sur la liste des avantages à travailler jusqu’à 23h30 un vendredi soir. Dans les 100 m à la ronde, il n’y avait qu’une seule autre personne et elle portait des écouteurs.)

Arielle dit
Il s'est marié, c'était une obligation. C'est l'aîné de la famille, il doit montrer l'exemple, il ne doit pas donner une mauvaise image de sa famille...
"Je n'ai jamais voulu, moi"
Sérieusement, il y a un vrai risque pour la vie de se mec
TU AS 32 ANS BORDEL
Tu veux pas te marier, TU LE FAIS PAS.
"C'est dur." OH PAUVRE PETIT, TU VEUX UN CALIN ?

Le plus beau dans l’histoire restant bien sûr la réaction de E.

Arielle dit
"Je me rends compte que parce que je l'aime, je vais en souffrir énormément".
...
...
...
donc tu restes ?
Tu imagines à quoi ressemble un "headdesk" ?
C'est moi, là.
Littéralement

(Pour ceux qui éventuellement l’ignorent, un « headdesk », c’est ça.)


Merci, Charlie.

Le présentateur, qu’on n'avait pas trop entendu pendant un moment (j’avoue, j’espérais secrètement qu’il était en mode « poker face » et qu’intérieurement, il ressentait à peu près la même chose que moi), vient alors écraser le reste de mes espoirs pour l’humanité.

Arielle dit
"La passion l'emporte une fois de plus." Ne pas hurler. Ne pas hurler. Ne. Pas. Hurler.

Courage, on arrive à la fin bientôt. Au passage on nous apprend quelques petites infos complémentaires, du style :

Arielle dit
IL VIVAIT CHEZ SES PARENTS AVEC SA FEMME
HAHAHAHA
LOL

(Cet étrange moment où « LOL » devient la seule façon d'exprimer ta détresse psychologique.)

Suite du reportage. Alors que, jusqu’à présent, E. et D. étaient interviewés séparément, le présentateur les retrouve tous les 2 dans leur appartement commun. Parce que, oui, E. a pardonné, oui, ils sont toujours ensemble, oui, D. est toujours marié et oui, tout leur semble absolument normal.
Interrogée, E. explique que ce n’est pas tout à fait la liberté parce que, je cite, « il est encore marié, tout ça. » Ben oui, forcément.
A quoi elle ajoute « Ce qu'il faut voir, c'est son équilibre à lui, son bonheur ».
Pendant que je m’étrangle dans mes larmes de rage, le présentateur se tourne vers D. pour s’enquérir dudit équilibre.

Arielle dit
Ah non attends, l'équilibre du mec est, je cite "couci-couça"
Je ne comprends pas cette conversation
Pourquoi, POURQUOI, tout le monde agit comme si c'était normal ?
Tout le monde s'inquiète de lui
...
Ils DISCUTENT
Genre normal
Je suis une fille intelligente et ça me dépasse.

C’est le moment où, après une conclusion bidon et dépourvue du jugement que j’espérais entendre parce que, quand même, on ne me fera pas avaler que toute cette situation est normale, le présentateur tête-à-claques est passé au 4e couple, que je me ferais un plaisir de sous-titrer lundi, quand j’aurais fini de hurler mon désespoir et ma misanthropie galopante fraîchement ravivée dans mes oreillers qui en ont déjà bien trop vu.

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